« Je n’ai jamais eu le temps de dégorger le vingtième de ce que j’accumule et plus tard, ce sera trop tard. »

Pour répondre à cette urgence, Alexandre Vialatte (1901-1971) crée un genre littéraire qu’il pousse à la perfection : la chronique. Dès l’âge de 21 ans jusqu’à sa mort, il en compose des centaines pour divers journaux et revues (Marie Claire, le
Petit Dauphinois, La Montagne).

Né en 1901 à Magnac-Laval (Haute-Vienne), Alexandre Vialatte est collégien à Ambert, étudiant à Clermont- Ferrand et répétiteur à Thiers. Il passe également sept années en Allemagne en tant que rédacteur de La Revue rhénane. Il s’y ennuie et revient régulièrement en Auvergne pour se ressourcer et retrouver son fidèle ami Henri Pourrat. Diplômé d’allemand, il effectue de nombreux travaux de traduction (Goethe, Nietzsche, Brecht) et découvre Kafka en 1925, un an après la mort de ce dernier. Il est le premier à le traduire et se lie d’amitié profonde avec cet homme qu’il n’a pas connu. Il enseigne le français au Caire pendant deux ans.

En 1940, il est fait prisonnier et interné à Besançon,
puis à l’hôpital psychiatrique de Dôle où il tente de
mettre fin à ses jours. Libéré en 1941, il s’installe à Saint-
Amand-Roche-Savine jusqu’à la libération. Puis il s’installe à Paris où il se lie d’amitié avec Philippe Kaeppelin. En 1945, il repart en Allemagne comme correspondant de presse.

En 1947, après la mort de son frère Pierre, il met fin à ses tribulations et s’installe définitivement à Ambert. « Depuis la mort de mon frère, je me sens comme un bœuf désorienté par l’absence de l’autre, sous le joug. Et je divague à droite et à gauche. On n’existe pas seul, on n’est pas seul à être soi, on est fait d’un tas d’autres. Leur perte déplace notre centre de gravité. »

Pendant toutes ces années, Alexandre Vialatte a écrit plusieurs romans dont trois publiés de son vivant : Battling le ténébreux, Le Fidèle Berger, Les Fruits du Congo.

De 1952 à 1971, il se consacre presque exclusivement à la chronique et en écrit une chaque semaine dans le journal La Montagne : « À petits coups de griffes, avec un air de ne pas y toucher, il déploie dans chacune de ses chroniques tout un art de l’absurde, qui inspirera Pierre Desproges, et égratigne avec humour et tendresse les petits travers de ses contemporains. En écho aux parfois fausses urgences de l’actualité, il flâne et parle de tout, sauf de politique ; pièces de théâtre, proverbes, tics de langage ou particularités régionales sont passés à la moulinette de sa verve comique et loufoque, et prennent souvent un tour poétique. »

Même s’il doit parfois séjourner à Clermont-Ferrand, pour Alexandre Vialatte la capitale de l’Auvergne restera toujours Ambert et Henri Pourrat sera définitivement le chef-lieu du Puy- de-Dôme.

En 1971, Alexandre Vialatte meurt à Paris « notoirement méconnu », selon sa propre expression.

Lorsqu’en 2011, la bibliothèque du Puy-en- Velay me commande une lecture publique sur Alexandre Vialatte, je dois avouer que je connais à peine l’œuvre de cet écrivain « notoirement méconnu », selon sa propre formule. Mais c’est avec une curiosité et une délectation infinies que je me suis plongée dans les Chroniques de la Montagne, découvrant un monde incroyable, d’une cocasserie inouïe, un monde baroque fait d’émerveillement enfantin et de paradoxes.

Malraux a écrit : « Il n’y a pas de grand art sans une part d’enfance et peut-être pas même de grand destin. »

« Assurément notre auteur est un grand artiste, un prosateur exceptionnel, un poète résolument singulier, créateur d’un langage et d’un univers. » (François Taillandier)

« Un esprit plein de poésie et d’une fantaisie inédites, une sorte de Hoffman français, mais plus riche peut-être et plus profond, avec des idées saugrenues comme il n’en vient qu’aux grands esprits. » (Jean Dutourd)

« C’est l’imagination qui conduit Vialatte au cœur des choses, c’est la lampe Aladin de son inspiration. Son style rococo, carnavalesque, elliptique, est le contraire d’une création artificielle. Il provient d’une nécessité intérieure. En général, trop de style tue le style mais Vialatte a ceci de particulier qu’il résiste aux généralités, il les déroute comme il déroute le bon sens. Il prend le monde par les pieds “au niveau des oreilles et il le retourne à l’endroit”. » (François Bousquet)

Amélie Nothomb écrit encore dans La Montagne du 7 septembre 1996 :

« Quand je vais mal, vraiment très mal, il n’est qu’un seul écrivain au monde qui puisse quelque chose pour moi : c’est Vialatte. J’ouvre n’importe quel volume de ses Chroniques à n’importe quelle page et la vie cesse d’être un problème. Pourquoi? C’est presque inexplicable. On ne peut pas dire que Vialatte soit joyeux, ni optimiste : au contraire. On ne peut pas non plus dire qu’il soit drôle : ce n’est pas le terme propre. Ne lui convient pas davantage les adjectifs très à la mode, comme « délirant », « fou », « déjanté » ou « dingue » : pour être Vialatte, il faut, à la base, une profonde rigueur intellectuelle. S’il fallait trouver un mot pour qualifier son écriture, le moins inadéquat pourrait être l’adjectif « incongru ». Aucun auteur n’est allé aussi loin dans l’incongruité pure. D’autres écrivains ont pratiqué cette vertu, mais jamais avec cette subtilité légère qui fait de lui le noble classique du genre. J’ouvre son Almanach et je tombe sur cette introduction au septième mois de l’année : “Le mois de juillet est un mois très mensuel.”. Livrez cette phrase à un thésard littéraire : terrifié, le binocleux n’en pourra tirer la moindre glose. C’est que, comme l’éléphant dont parle Vialatte, sa poésie a quelque chose d’irréfutable. Personne d’autre que lui n’eût jamais songé à écrire ces loufoqueries marmoréennes qui sont pour moi le remède à toutes les pesanteurs du monde. »

Que dire de plus après ces superbes témoignages? Que je me suis empressée d’accepter une seconde commande de la bibliothèque pour une nouvelle balade dans cette œuvre foisonnante, entre chroniques, poèmes et romans. Tout doucement alors s’est imposée l’irrépressible envie de créer un véritable spectacle- hommage à l’auteur de ce « carnaval bariolé, d’une rutilance presque exotique » (Paul Vandromme).

Elisabeth Paugam est la fondatrice du Théâtre Mayapo au Puy en Velay. Comédienne et marionnettiste professionnelle depuis 1989, professeur et metteur en scène de théâtre, elle est également artiste peintre.

Nicolas Paugam est musicien professionnel. Guitariste dans de nombreuses formations, il navigue entre jazz manouche et pop musique; il est le cofondateur du groupe pop Da Capo (quatre albums produits). Il compose également des chansons françaises, anime des ateliers d’éveil musical pour les tout-petits et pratique l’art du collage.

Dis moi le lion que tu fréquentes… est une alchimie de toutes ces compétences mêlées, un spectacle visuel, une balade fantasque dans l’oeuvre d’Alexandre Vialatte, baroque et farfelue, poétique et incongrue.

Vialattedis moi le lion - copie

 

 

 

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